23BX02571

Décision du 21 novembre 2023

Par un déféré du 11 septembre 2023, le préfet de la Martinique a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, saisi sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative et de l’article L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales, d’ordonner la suspension de l’exécution de la délibération n° 23-200-1 du 25 mai 2023 de l’assemblée de Martinique en tant qu’elle reconnaît en son article 1er la langue créole comme langue officielle de la Martinique au même titre que le français, ensemble la décision du 19 août 2023 par laquelle le président du conseil exécutif de Martinique a rejeté le recours gracieux du 25 juillet 2023. Par une ordonnance n° 2300550 du 4 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a rejeté ce déféré.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 octobre 2023, le préfet de la Martinique demande à la cour :

1°) d’annuler cette ordonnance du 4 octobre 2023 ;

2°) de suspendre l’exécution de la délibération n° 23-200-1 du 25 mai 2023 de l’assemblée de Martinique en tant qu’elle reconnaît en son article 1er la langue créole comme langue officielle de la Martinique au même titre que le français, ensemble la décision du 19 août 2023 par laquelle le président du conseil exécutif de Martinique a rejeté le recours gracieux du 25 juillet 2023.

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Par un mémoire en défense enregistré le 17 novembre 2023, la collectivité territoriale de Martinique, représentée par son président en exercice et ayant pour avocat Me Ursulet, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l’Etat en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit : 1. Aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales (…) / Les demandes assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes d’autres collectivités ou établissements suivent, de même, les règles fixées par les articles (…) L. 4142-1 (…) du code général des collectivités territoriales" ». Aux termes de l’article L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales : « Le représentant de l'Etat dans la région défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 4141-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission (…) Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué (…) ». Et aux termes de l’article L. 7231-1 du code général des collectivités territoriales : « Les délibérations de l’assemblée de Martinique (…) sont soumis(es) au régime juridique des actes pris par les autorités régionales dans les conditions fixées par les chapitres 1er et II du livre Ier de la quatrième partie ».

2. Lors de sa séance du 25 mai 2023, l’assemblée de Martinique a adopté une délibération n° 23-200-1 dont l’article 1er « reconnait la langue créole comme langue officielle de la Martinique, au même titre que le français ». Le préfet de la Martinique a formé, le 25 juillet 2023, un recours gracieux à l’encontre de cette disposition, qui a été rejeté le 19 août 2023 par le président du conseil exécutif de Martinique. Saisi par le préfet de la Martinique, sur le fondement des articles L. 554-1 du code de justice administrative et L. 4142-1 du code général des collectivités territoriale, d’une demande de suspension de l’exécution de l’article 1er de la délibération du 25 mai 2023, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a rejeté ce déféré pour irrecevabilité au motif que la disposition considérée présente le caractère d’un acte préparatoire insusceptible de recours.

3. Toutefois, si l’article 3 de la délibération du 25 mai 2023 prévoit que « le président de l’Assemblée de Martinique transmet le projet de loi au premier ministre, au représentant de l’Etat dans la collectivité territoriale et aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat dans le cadre de l’article L. 7252-1 du code général des collectivités territoriales, au titre des propositions de modification ou d’adaptation des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d’élaboration », il ne saurait s’en déduire que ladite délibération n’aurait d’autre objet que cette autorisation de transmission d’une proposition de modification législative et présenterait dès lors, en toutes ses dispositions, le caractère d’un acte préparatoire dépourvu de portée normative.

4. Ainsi, alors qu’aux termes de l’article L. 7252-1 du code général des collectivités territoriales « l'assemblée de Martinique peut présenter des propositions de modification ou d'adaptation des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration ainsi que toutes propositions relatives aux conditions du développement économique, social et culturel de la collectivité territoriale de Martinique », la délibération du 25 mai 2023 ne vise ni n’évoque aucune proposition de la nature de celles évoquées par ce texte et il ne résulte pas de l’instruction que l’assemblée ait antérieurement débattu d’un quelconque projet de transmission aux autorités de l’Etat d’une telle proposition. En outre, son article 1er objet du présent litige se présente sous la forme d’une déclaration immédiate de reconnaissance de la langue créole comme langue officielle de la Martinique, exécutoire de plein droit dès la publication et la transmission de la délibération au préfet, en vertu de son article 5, et dont la mise en œuvre n’est pas subordonnée à une éventuelle suite favorable donnée à une proposition d’adaptation normative transmise au Premier ministre et aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cette disposition ne peut donc être regardée comme relevant des dispositions précitées de l’article L. 7252-1 du code général des collectivités territoriales.

5. Par suite, et alors au demeurant que le représentant de l'Etat peut déférer au juge administratif, sur le fondement de l’article L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales, tous actes des collectivités territoriales qu'il estime contraires à la légalité, y compris ceux présentant un caractère préparatoire, le préfet de la Martinique est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a rejeté comme irrecevable le déféré dont il l’avait saisi. Il y a lieu, en conséquence, d’annuler cette ordonnance et de statuer immédiatement, par la voie de l’évocation, sur la demande de suspension présentée par le préfet.

6. Aux termes de l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La langue de la République est le français ». Aux termes de l’article 1er de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française : « Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics. ». Il résulte de ces dispositions que l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 99-412 du 15 juin 1999, a précisé que : « les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraint à un tel usage ». Au surplus, il résulte tant des dispositions de l’article 75-1 de la Constitution en vertu desquelles « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », que des travaux parlementaires ayant présidé à l’adoption de l’article 40 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 dont cet article est issu, que le pouvoir constituant, comme l’a relevé le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2011-130 QPC du 20 mai 2011, n’a pas entendu créer un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

7. Dès lors, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la délibération déférée de l’assemblée de Martinique en date du 25 mai 2023 est contraire, en son article 1er, aux dispositions précitées de l’article 2 de la Constitution et de l’article 1er de la loi du 4 août 1994, est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette disposition. Par suite, il y a lieu de prononcer la suspension de l’exécution de cet article 1er de la délibération jusqu’à ce qu’il soit statué au fond.

8. L’Etat n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la collectivité territoriale de Martinique sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : L’ordonnance n° 2300550 du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique du 4 octobre 2023 est annulée.

Article 2 : L’exécution de l’article 1er de la délibération de l’assemblée de Martinique n° 23-200-1 du 25 mai 2023 est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond.

Article 3 : Les conclusions présentées par la collectivité territoriale de Martinique sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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