22BX01630

Décision du 21 mars 2024

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2022 et le 22 décembre 2022, la société Grand Cassiet, représentée par Me Versini-Campinchi, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d’annuler les arrêtés de la préfète de la Gironde du 20 janvier 2020 portant refus d’autorisation de défrichement et rejet de sa demande de permis de construire ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer l’autorisation de défrichement ainsi que le permis de construire sollicités, dans un délai de deux mois à compter de l’arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d’un projet de construction d’une centrale photovoltaïque au sol, la SAS Grand Cassiet a demandé à la préfète de la Gironde, le 3 décembre 2018, l’autorisation de défricher les parcelles cadastrées section C n° 335 à 337, 347 à 351, 359 à 363, 366, 367, 777, 779 et 1192 sur le territoire de la commune de Lucmau, soit une surface de 36 hectares 44 ares 22 centiares de bois, et le 5 décembre 2018, la délivrance d’un permis de construire. Par deux arrêtés du 20 janvier 2020, la préfète de la Gironde a refusé de faire droit à ces demandes. La SAS Grand Cassiet a demandé l’annulation de ces décisions au tribunal administratif de Bordeaux. Elle relève appel du jugement du 14 avril 2022 par lequel le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 341-5 du code forestier : « L'autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois et forêts ou des massifs qu'ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire à une ou plusieurs des fonctions suivantes : (…) / 9° A la protection des personnes et des biens et de l'ensemble forestier dans le ressort duquel ils sont situés contre les risques naturels, notamment les incendies et les avalanches. ».

3. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est situé au sein du massif des Landes de Gascogne, massif le plus important d’Europe avec une surface de plus d’un million d’hectares et composé majoritairement de pins maritimes, arbres résineux extrêmement inflammables. Ce secteur est classé en « niveau 4 fort » de sensibilité au feu par le plan interdépartemental de protection de la forêt contre les incendies applicable sur le territoire des départements de la Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne et l’étude d’impact du projet relève un niveau d’enjeu fort s’agissant du risque d’incendie pour l’aire d’étude immédiate du terrain concerné. Il ressort également des pièces du dossier que le projet de centrale photovoltaïque, qui pouvait être pris en considération par l’administration pour apprécier la réponse à apporter à la demande d’autorisation de défrichement sollicitée par la société pétitionnaire, entraine un risque spécifique d’incendie. A cet égard, l’étude d’impact et les études de risque produites au dossier soulignent, il est vrai, que plusieurs sources de démarrage de feu sur le site sont possibles, principalement liées aux unités de transformation de l’électricité, soit les postes de livraison et les transformateurs. Toutefois, la société pétitionnaire a intégré à son projet l’ensemble des recommandations faites par le service départemental d’incendie et de secours et par l’association régionale de défense des forêts contre l’incendie, notamment la création d’une zone débroussaillée de cinquante mètres de profondeur en périphérie de l’installation, deux bandes de roulement de cinq mètres de largeur de part et d’autre de la clôture, la bande extérieure étant reliée aux voies d’accès existantes du massif forestier, trois citernes de 120 m3 qui seront aménagées sur le parc, une à proximité de l’entrée de chaque zone, des dispositifs d’isolement des éléments de production d’électricité et de protection mécanique du réseau électrique ainsi que la définition d’un plan d’organisation interne des secours. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l’analyse figurant dans l’étude d’impact, que l’ensemble de ces mesures permet de porter le niveau d’impact résiduel du projet sur le risque incendie à un niveau faible. En outre, si le projet comporte des sources possibles de démarrage de feu, les éléments au dossier convergent pour retenir que de tels feux sont peu violents, les matériaux présents sur une centrale photovoltaïque étant faiblement combustibles, et qu’ils présentent un risque faible de propagation au milieu extérieur au vu de l’ensemble des mesures de prévention et d’éloignement du massif forestier observées. Le ministre, en se bornant à produire quelques articles de journaux faisant état de départs d’incendie sur des parcs photovoltaïques dont aucun ne s’est propagé à l’environnement des sites, ne se prévaut pas d’élément permettant de caractériser un risque pour la protection des personnes, des biens ou de l’ensemble forestier au sens des dispositions précitées. Par suite, la société Grand Cassiet est fondée à soutenir que le refus d’autorisation de défrichement qui lui a été opposé est entaché d’une erreur d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 341 5 du code forestier.

4. Pour les mêmes motifs, l’arrêté de refus de permis de construire du 20 janvier 2020, uniquement fondé sur le refus d’autorisation de défrichement opposé le même jour, ne peut qu’être annulé. Pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens soulevés n’est susceptible de fonder, en l’état du dossier, l’annulation de la décision de refus de permis de construire.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement ni d’examiner les autres moyens de la requête dirigés contre le refus d’autorisation de défrichement, que la société Grand Cassiet est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

6. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (…)». Lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non‑opposition. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.

7. Le présent arrêt implique, eu égard à ses motifs, qu’il soit enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à la SAS Grand Cassiet l’autorisation de défrichement sollicitée et il y a lieu, en application des principes rappelés ci-dessus, d’enjoindre également au préfet de lui délivrer le permis de construire demandé dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n’y a pas lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros à verser à la SAS Grand Cassiet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 avril 2022 et les arrêtés de la préfète de la Gironde du 20 janvier 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à la SAS Grand Cassiet l’autorisation de défrichement et le permis de construire sollicités dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L’Etat versera à la SAS Grand Cassiet la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Grand Cassiet, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et au préfet de la Gironde.

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