22BX01113
Par rédacteur le jeudi,12 janvier 2023, 16:28 - 1ère Chambre - Lien permanent
Décision du 12 janvier 2023
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fédération départementale de la libre pensée de la Charente-Maritime a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler la décision implicite par laquelle le maire de La Flotte a, à la suite de la demande du 28 janvier 2021, refusé de déplacer une statue de la Vierge Marie située avenue du 8 mai 1945.
Par un jugement n° 2100952 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision implicite du maire de La Flotte, a enjoint au maire de procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge Marie dans un délai de six mois et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 19 avril 2022 et le 2 août 2022, la commune de La Flotte, représentée par Me Brossier, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mars 2022 ;
2°) de rejeter la demande la Fédération départementale de la libre pensée de Charente Maritime ;
3°) de mettre à la charge de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente Maritime la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que : - le jugement est irrégulier dès lors que la note en délibéré enregistrée le 14 février 2022 n’a pas été communiquée alors qu’elle faisait état d’une circonstance nouvelle dont elle n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et qui était susceptible d’exercer une influence sur le règlement de l’affaire ; - la décision implicite en litige devait être regardée comme une décision de refuser de procéder à l’abrogation de la délibération du conseil municipal du 19 novembre 1986 devenue définitive ; le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ne pouvait être invoqué pour contester cette décision ; - la demande de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente Maritime doit être regardée comme demandant l’abrogation de la délibération du conseil municipal du 4 juillet 2013, qui décide implicitement du maintien de la statue sur la parcelle ; - la décision ne méconnaît pas l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ; en effet, la statue dont il s’agit a été installée sur un promontoire en pierre portant l’inscription « Vœux de guerre » et le monument en cause est donc constitué de l’assemblage indivisible d’un objet religieux et d’un objet qui ne présente pas ce caractère ; l’historique de ce monument n’exprime pas la reconnaissance d’un culte ; - la statue et son promontoire ont été déplacés en 1986 sur une parcelle privée ; - la statue de la Vierge Marie relève des exceptions prévues par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 dès lors que le promontoire en pierre sur lequel est inscrit la mention « Vœux de guerre » doit être regardé comme un monument funéraire au sens de cet article.
Par des mémoires en défense enregistrés le 8 juillet 2022 et le 20 septembre 2022, la Fédération départementale de la libre pensée de Charente Maritime, représentée par Me Ferry, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de La Flotte ;
2°) d’enjoindre à la commune de procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge Marie située sur la parcelle cadastrée section AK n° 270 sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la commune de La Flotte la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la commune de La Flotte ne sont pas fondés.
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Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 28 janvier 2021, la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime a demandé au maire de La Flotte de déplacer « hors du domaine public » une statue de la Vierge Marie implantée sur la parcelle cadastrée section AK n° 270, au croisement des rues Gustave Deschezeaux et Grand’Maison. En l’absence de réponse du maire, une décision implicite de rejet est née. La commune de La Flotte relève appel du jugement du 3 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision implicite du maire de La Flotte, a enjoint au maire de procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge Marie dans un délai de six mois et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Sur la régularité du jugement :
2. Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du commissaire du gouvernement, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
3. Par une note en délibéré enregistrée par le greffe du tribunal administratif de Poitiers le 14 février 2022, la commune de La Flotte a produit un acte de donation daté du 16 novembre 2005 qui, selon elle, établirait que la parcelle cadastrée section AK n° 270 appartient en réalité à une personne privée. Toutefois, alors que la commune ne pouvait ignorer la consistance de son propre domaine, compte tenu notamment de l’acte du 2 novembre 2006, par lequel la moitié indivise de cette parcelle lui a été cédée à titre gratuit, et de la délibération de son conseil municipal du 4 juillet 2013, incorporant ladite parcelle dans son domaine public, cet acte de donation du 16 novembre 2005 ne constituait pas une circonstance nouvelle qui aurait imposé de le soumettre au débat contradictoire. Par suite, le moyen tel que soulevé par la commune, tiré de l’irrégularité du jugement au motif que la note en délibéré enregistrée le 14 février 2022 n’aurait pas été communiquée, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Contrairement à ce que soutient la commune de La Flotte, la demande de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente Maritime ne peut être regardée comme tendant à l’abrogation de la délibération du 19 novembre 1986, par laquelle le conseil municipal a décidé d’implanter la statue au croisement des rues Gustave Deschezeaux et Grand’Maison, ni à l’abrogation de la délibération du 4 juillet 2013, portant incorporation dans le domaine public de différentes parcelles. En effet, cette demande doit être regardée comme tendant à l’abrogation de la décision par laquelle la commune de La Flotte a décidé, le 22 décembre 2020, de réinstaller une copie de la statue de la Vierge Marie sur son promontoire à la suite de sa dégradation en raison d’un accident de la circulation intervenu le 17 mai 2020. Par suite, les moyens tirés de ce que la commune n’était pas tenue d’abroger la délibération du 9 novembre 1986 et la délibération du 4 juillet 2013, qui sont devenues définitives, doivent être écartés comme inopérants.
5. Pour annuler la décision implicite du maire de La Flotte, le tribunal administratif de Poitiers a considéré que l’édification de la statue en cause sur un emplacement public méconnaît les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’État selon lesquelles : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
6. D’une part, il ressort des pièces du dossier que M.== J==, Mme L== J== et M. G== J== étaient propriétaires en indivision avec M. René J== de la parcelle cadastrée section AK n° 270 sur laquelle la statue de la Vierge Marie a été installée en 1986. Ils ont cédé à titre gratuit, par un acte authentique de cession du 2 novembre 2006, leur moitié indivise de cette parcelle à la commune de La Flotte. Ainsi, la commune est propriétaire de ladite parcelle en indivision avec M. J== J==. Par suite, le moyen tiré de ce que la statue ne peut être regardée comme située sur un « emplacement public » au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 doit être écarté dès lors que le terrain supportant la statue relève en partie du domaine de la commune.
7. D’autre part, les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, qui a pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse, sous réserve des exceptions qu’elles ménagent.
8. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que la statue dont il s’agit a été acquise en 1955 par la paroisse Sainte-Catherine d’Alexandrie à La Flotte afin de réaliser un vœu exprimé pendant la Seconde guerre mondiale par les paroissiens pour l’édification d’une statue de la Vierge Marie. Cette statue, qui a été érigée sur un promontoire portant la mention « Vœux de Guerre », a d’abord été installée sur un terrain appartenant au diocèse au croisement entre les routes de Sainte-Marie et de la Noue, à la sortie de La Flotte. A la suite de travaux de déviation de la route de la Noue, la commune a décidé, par une délibération du 19 novembre 1986, de la déplacer à son emplacement actuel. La statue ayant été endommagée à la suite d’un accident de la circulation intervenu le 17 mai 2020, la commune de La Flotte en a fait réaliser une copie qu’elle a réinstallée sur son promontoire le 22 décembre 2020.
9. Il est indéniable que la figure de la Vierge Marie est un personnage important de la religion chrétienne, en particulier catholique, et présente par elle même un caractère religieux. Par ailleurs, la statue en cause présente des dimensions importantes, la rendant particulièrement visible, tandis que l’inscription « Vœux de guerre » sur son promontoire a un impact visuel beaucoup moins important. Ainsi, le monument, même pris dans son ensemble, présente un caractère religieux. A cet égard, l’historique particulier de l’édifice tel que décrit au point précédent n’est pas tel qu’il permettrait de considérer que ce monument présenterait un caractère uniquement patrimonial, alors qu’il ressort des pièces du dossier qu’il a été acquis par la paroisse de La Flotte en 1955 afin de rendre grâce à la figure de la Vierge Marie et qu’il a été placé jusqu’en 2006 sur des terrains appartenant à des personnes privées. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la commune, ce monument, qui n’est pas dédié à la commémoration des morts, ne peut être regardé comme un monument funéraire. Par suite, la réinstallation en décembre 2020 d’une copie de la statue de la Vierge Marie sur un emplacement devenu public depuis 2006, autre que ceux prévus par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précité, méconnaît les dispositions de cet article, alors même que la commune n’avait pas l’intention d’exprimer, par cette réinstallation, une préférence religieuse.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Flotte n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision implicite du maire de la Flotte et lui a enjoint de procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge Marie située avenue du 8 mai 1945 dans un délai de six mois.
Sur l’injonction :
11. Par le jugement contesté, le tribunal administratif de Poitiers a enjoint au maire de La Flotte de procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge Marie située avenue du 8 mai 1945 dans un délai de six mois. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la commune de La Flotte tendant à l’annulation de ce jugement du 2 mars 2022, n’implique aucune mesure particulière d’exécution. Par suite, les conclusions incidentes de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime présentées à fin d’injonction doivent être rejetées. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à ses conclusions à fin d’astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente Maritime, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de La Flotte demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune une somme 1 500 euros à verser à la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime, en application de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de La Flotte est rejetée.
Article 2 : La commune de La Flotte versera à la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime est rejeté.