20BX04112

Décision du 15 décembre 2022

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat Confédération Française Démocratique du Travail Interco de la Gironde (CFDT Interco 33) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d’une part, d’annuler la délibération du 6 juillet 2018 par laquelle le conseil métropolitain de Bordeaux Métropole a mis en place le régime indemnitaire tendant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) et, d’autre part, d’annuler la délibération complémentaire du conseil métropolitain du 12 juillet 2019 en tant qu’elle prévoit, à son article 4, l’attribution selon le mode « du service fait », d’un montant de complément indemnitaire annuel aux agents de collecte.

Le syndicat des Collectivités Territoriales Solidaires Unitaire Démocratique de la Gironde (SUD CT 33) a également demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler délibération précitée du 6 juillet 2018.

Le tribunal administratif de Bordeaux, par un jugement n° 1805862, 1900265, 1906189 du 20 octobre 2020, a annulé, à compter du 1er juin 2021 et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du jugement contre les actes pris sur leur fondement, la délibération du 6 juillet 2018 du conseil métropolitain de Bordeaux Métropole et l’article 4 de la délibération du 12 juillet 2019.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2020, et un mémoire enregistré le 29 juin 2022, Bordeaux Métropole, représentée par Me Matthieu Noël, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 20 octobre 2020 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de mettre à la charge du syndicat CFDT Interco 33 et du syndicat SUD CT33 la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………………………

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 6 juillet 2018, le conseil métropolitain de Bordeaux Métropole a, en application de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, défini, pour ses agents, un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) en s’inspirant de celui institué, pour les agents de l’Etat, par le décret du 20 mai 2014 portant création de ce régime. Le 12 juillet 2019, le conseil métropolitain de Bordeaux Métropole a pris une délibération complémentaire dont l’article 4 a prévu l’attribution, selon le mode du « service fait », du complément indemnitaire annuel aux agents de conduite et de collecte des déchets ménagers.

2. Le syndicat Confédération Française Démocratique du Travail Interco de la Gironde (CFDT Interco 33) et le syndicat des Collectivités Territoriales Solidaires Unitaire Démocratique de la Gironde (SUD CT 33) ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler la délibération précitée du 6 juillet 2018. Par ailleurs, le syndicat CFDT Interco 33 a demandé au tribunal d’annuler l’article 4 de la délibération complémentaire du 6 juillet 2019. Par un jugement rendu le 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la délibération du 6 juillet 2018 ainsi que l’article 4 de la délibération du 12 juillet 2019 tout en différant au 1er juin 2021, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de son jugement contre les actes pris sur le fondement de ces délibérations, les effets de l’annulation ainsi prononcée.

3. Bordeaux Métropole relève appel de ce jugement. Par la voie de l’appel incident, le syndicat SUD CT 33 demande à la cour de réformer le jugement du 20 octobre 2020 en tant qu’il a différé au 1er juin 2021 l’annulation des délibérations en litige et, par voie de conséquence, de conférer à cette annulation une portée rétroactive.

Sur la délibération du 6 juillet 2018 :

4. Aux termes de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat. Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d'exercice des fonctions et de l'engagement professionnel des agents. Lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, l'organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l'Etat. ». Aux termes de l'article 1er du décret du 6 septembre 1991 pris pour l'application du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 : « Le régime indemnitaire fixé par (…) les conseils d'administration des établissements publics locaux pour les différentes catégories de fonctionnaires territoriaux ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat exerçant des fonctions équivalentes. (…)». Aux termes de l’article 2 du même décret : « L'assemblée délibérante de la collectivité ou le conseil d'administration de l'établissement fixe, dans les limites prévues à l'article 1er, la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen des indemnités applicables aux fonctionnaires de ces collectivités ou établissements (...) ».

5. Il résulte des dispositions précitées de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, qui permettent à une collectivité locale de mettre en place pour ses agents le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) institué par le décret du 20 mai 2014, qu’il revient à l’assemblée délibérante de chaque collectivité territoriale de fixer elle-même la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités bénéficiant aux fonctionnaires de la collectivité, sans que le régime ainsi institué puisse être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’Etat d’un grade et d’un corps équivalents au grade et au cadre d’emplois de ces fonctionnaires territoriaux et sans que la collectivité soit tenue de faire bénéficier ses fonctionnaires de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de l’Etat.

6. Il découle également des dispositions de l’article 88 de la loi du 11 janvier 1984 que les collectivités territoriales, qui souhaitent mettre en œuvre un régime indemnitaire lié aux fonctions lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, doivent le faire décomposant aussi l’indemnité en deux parts. Dans ce cas, la première de ces parts tient compte des conditions d’exercice des fonctions et la seconde de l’engagement professionnel des agents. Les collectivités territoriales qui décident de mettre en place un tel régime demeurent libres de fixer les plafonds applicables à chacune des parts, sous la réserve, compte tenu du principe de parité rappelé ci-dessus, que leur somme ne dépasse pas le plafond global des primes accordées aux agents de l’Etat servant de référence, et de déterminer les critères d’attribution des primes correspondant à chacune de ces parts.

7. Par la délibération en litige du 6 juillet 2018, Bordeaux Métropole a institué, pour ses agents, une indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise ainsi qu’un complément indemnitaire annuel.

8. L’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise, qui est destinée à valoriser l’exercice des fonctions, est liée au poste occupé par l’agent ainsi qu’à son expérience professionnelle. Selon les termes de la délibération du 6 juillet 2018, l’attribution de cette indemnité tient compte des critères professionnels suivants : fonctions d'encadrement, de coordination, de pilotage ou de conception ; technicité, expertise, expérience ou qualification nécessaires à l'exercice des fonctions, sujétions particulières ou degré d'exposition du poste au regard de son environnement professionnel. La délibération a réparti les postes, que chaque cadre d’emplois donne vocation à occuper, en groupes de fonctions et défini, pour chacun de ces groupes, un montant mensuel de référence d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise.

9. Le complément indemnitaire annuel est une indemnité facultative liée à l’engagement professionnel et à la manière de servir. Sa reconduction n’est pas systématique et son montant peut varier d’une année sur l’autre. La délibération en litige du 6 juillet 2018 la réserve aux agents occupant un poste rattaché aux groupes de fonctions suivants : « emploi fonctionnel », « adjoint au directeur général », « directeur ou directeur de mission ».

10. En premier lieu, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, en subordonnant le versement du complément indemnitaire annuel « à la performance et aux résultats » ainsi qu’à « l’engagement professionnel et à la manière de servir » des agents, Bordeaux Métropole n’a pas retenu des critères d’attribution de cette indemnité qui devraient être regardés comme insuffisamment précis, de tels critères correspondant au contraire à la finalité de l’indemnité en cause qui est de récompenser la valeur professionnelle des agents. Au demeurant, la délibération du 6 juillet 2018 vise le décret du 16 décembre 2014, relatif à l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux, dont l’article 4 définit les critères permettant d’apprécier cette valeur, à savoir les résultats obtenus par l’agent, ses compétences, ses qualités relationnelles, sa capacité d’encadrement et d’expertise et, le cas échéant, son aptitude à exercer des fonctions supérieures. Dans ces conditions, Bordeaux Métropole n’a pas, en ce qui concerne les critères d’attribution du complément indemnitaire annuel, méconnu l’étendue de sa compétence contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Bordeaux.

11. En deuxième lieu, le tribunal a jugé que la délibération en litige avait méconnu l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 en limitant, ainsi qu’il a été rappelé au point 9 ci-dessus, le versement du complément indemnitaire annuel aux groupes de fonctions « emploi fonctionnel », « adjoint au directeur général », « directeur ou directeur de mission » ainsi qu’aux « agents de collecte et de conduite exerçant leur fonction au service de la collecte des déchets ménagers et assimilés », sans étendre le versement de cette indemnité aux agents des autres groupes de fonctions, alors que, selon les motifs du jugement attaqué, les agents des administrations de l’Etat appartenant à des groupes de fonctions équivalents bénéficient, quant à eux, de cette indemnité. Toutefois, et ainsi qu’il a été rappelé au point 5 ci-dessus, les dispositions précitées de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, sur le fondement desquelles a été prise la délibération contestée, ne font pas obligation à Bordeaux Métropole de faire bénéficier ses agents de régimes indemnitaires identiques à ceux des fonctionnaires de l’Etat. Par suite, c’est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a retenu le moyen précité.

12. En troisième lieu, le tribunal a jugé que la délibération en litige avait méconnu le principe d’égalité en prévoyant un régime d’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise moins favorable pour les collaborateurs non permanents.

13. Il ressort de l’annexe 1 de la délibération en litige que le « montant de référence indicatif » de l’indemnité servie est moins avantageux pour le groupe de fonctions « collaborateurs non permanents » au sein des cadres d’emploi des attachés territoriaux et des secrétaires de mairie, des ingénieurs territoriaux, des attachés territoriaux de conservation du patrimoine, des médecins territoriaux, des conseillers territoriaux socio-éducatifs, des bibliothécaires territoriaux, des rédacteurs territoriaux, des techniciens territoriaux, des assistants territoriaux socio-éducatifs, des assistants territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothèques, des adjoints administratifs territoriaux, des agents de maîtrise territoriaux, des agents techniques territoriaux, des agents techniques du patrimoine et des adjoints territoriaux d’animation.

14. Ainsi qu’il a été dit, l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise est un complément de rémunération destiné à valoriser l’exercice des fonctions, compte tenu de la nature du poste occupé par l’agent et de son expérience professionnelle. C’est pourquoi la délibération en litige a pris en compte, au titre des critères d’attribution de cette indemnité, l’exercice par l’agent de fonctions d'encadrement, le degré de technicité, d’expertise et d’expérience de l’agent, les sujétions particulières auxquelles il peut être soumis ou encore le degré d'exposition au poste au regard de l’environnement professionnel.

15. En prévoyant un régime indemnitaire moins favorable aux agents appartenant à la catégorie des « collaborateurs non permanents », Bordeaux Métropole a introduit une distinction fondée non pas sur la nature des fonctions exercées, comme la notion de groupes de fonctions aurait dû la conduire à le faire, mais sur la pérennité de l’emploi occupé. Or les collaborateurs non permanents peuvent occuper des emplois permanents et ne sont pas amenés à exercer des fonctions par nature différentes de celles susceptibles d’être occupées par des agents titulaires. Eu égard à la finalité que poursuit l’attribution de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise et à ses critères d’attribution, tels qu’ils ont été rappelés au point précédent, c’est à bon droit que le tribunal a jugé que la différence de traitement ainsi instituée par la délibération en litige n’était pas justifiée par une différence de situation ni par un motif d’intérêt général et jugé, en conséquence, que le principe d’égalité entre les agents de la collectivité avait été méconnu sur ce point.

Sur la conséquence de l’illégalité de la délibération du 6 juillet 2018 :

16. Il résulte de ce qui précède que la délibération du 6 juillet 2018 est illégale en tant qu’elle fixe le régime indemnitaire des « collaborateurs non permanents » pour les cadres d’emploi des attachés territoriaux et des secrétaires de mairie, des ingénieurs territoriaux, des attachés territoriaux de conservation du patrimoine, des médecins territoriaux, des conseillers territoriaux socio-éducatifs, des bibliothécaires territoriaux, des rédacteurs territoriaux, des techniciens territoriaux, des assistants territoriaux socio-éducatifs, des assistants territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothèques, des adjoints administratifs territoriaux, des agents de maitrise territoriaux, des agents techniques territoriaux, des agents techniques du patrimoine et des adjoints territoriaux d’animation.

17. Cette illégalité est de nature à remettre en cause l’équilibre global du régime indemnitaire institué compte tenu du nombre d’agents concernés et des incidences que la modification, consécutive au présent arrêt, de leur régime indemnitaire est de nature à entraîner pour les autres agents en raison de l’obligation dans laquelle se trouve Bordeaux Métropole de ne pas dépasser le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat. Dans ces conditions, la délibération en litige du 6 juillet 2018 doit être annulée dans sa totalité.

18. Par ailleurs, l’annulation de la délibération du 6 juillet 2018 entraîne, par voie de conséquence, l’annulation des dispositions de l’article 4 de la délibération complémentaire du 12 juillet 2019, seules contestées, en première instance comme en appel, par les syndicats.

19. Enfin, une annulation rétroactive des délibérations en litige entraînerait la disparition du régime indemnitaire des agents de Bordeaux Métropole et la remise en cause de toutes les situations individuelles qui se sont constituées en application de ce régime depuis leur entrée en vigueur. Par suite, une telle annulation est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives contrairement à ce que soutient le syndicat intimé qui n’est ainsi pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a différé au 1er juin 2021 les effets de l’annulation des délibérations en litige. Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Les conclusions de Bordeaux Métropole, partie perdante dans la présente instance, doivent être rejetées. En revanche il y a lieu de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de Bordeaux Métropole la somme de 1 500 euros au profit du syndicat CFDT Interco 33 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et la somme de 1 500 euros au profit du syndicat SUD CT33 pour ces mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Bordeaux Métropole est rejetée.

Article 2 : Bordeaux Métropole versera, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros au syndicat CFDT Interco 33 et la somme de 1 500 euros au syndicat SUD CT33.

La discussion continue ailleurs

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