20BX01406

Décision du 13 décembre 2022

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement Mme de P==, les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Artelia, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole à lui verser la somme de 825 195,36 euros en réparation des désordres affectant l’extension du tramway dite « Claveau », assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, et de condamner solidairement ces mêmes parties à lui verser la somme de 77 924,47 euros au titre des dépens, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1803159 du 9 mars 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la société Keolis Bordeaux métropole à verser à Bordeaux Métropole la somme de 43 312,32 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2018 et capitalisation de ces intérêts, a mis les frais d’expertise d’un montant total de 77 924,47 euros, à la charge définitive de Keolis Bordeaux métropole à hauteur de 19 481,12 euros et de Bordeaux Métropole à hauteur de 58 443,35 euros et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 avril 2020 et le 5 juillet 2021, Bordeaux Métropole, représentée par Me Cabanes, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 mars 2020 en tant qu’il a limité la condamnation prononcée à son profit à la somme de 43 312,32 euros et prononcé à son encontre des condamnations au titre des frais d’expertise et des frais liés à l’instance ;

2°) de condamner solidairement les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Artelia, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux, Keolis Bordeaux métropole et Mme de P== à lui verser la somme de 825 195,36 euros HT en réparation des désordres affectant l’extension du tramway dite « Claveau », assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) subsidiairement, de condamner solidairement les mêmes parties à lui verser la somme de 452 422,15 euros HT en réparation des désordres affectant l’extension du tramway dite « Claveau », assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

4°) de condamner solidairement ces mêmes parties à lui verser la somme de 64 937,06 euros au titre des dépens (frais d’expertise) ;

5°) de mettre à la charge des mêmes parties une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2020, la société Somoclest bâtiment, représentée par Me Chapon, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Ingerop conseil et ingénierie, Artelia, Fayat, Verdi bâtiment sud-ouest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Bordeaux Métropole au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 septembre 2020, le 11 décembre 2020, le 15 janvier 2021, le 12 mai 2021 et le 5 août 2021, la société Artelia, représentée par Me Roger, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole, subsidiairement à ce que sa condamnation soit limitée à un montant n’excédant pas 363 221 euros HT et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de toute partie succombante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2020, la société Brochet Lajus Pueyo, représentée par Me Hounieu, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés, Signes, BTPS atlantique, Somoclest, Artelia, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest et Fayat, et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de toute partie succombante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 janvier 2021, le 27 septembre 2021 et le 2 novembre 2022, la société Systra, représentée par Me Grenier, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P== et les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Fayat, Somoclest Bâtiment, Ingerop conseil et ingénierie, Artelia, Verdi bâtiment sud-ouest, Keolis Bordeaux, et Keolis Bordeaux métropole et à ce qu’une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de toute partie succombante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par des mémoires, enregistrés le 30 novembre 2020 et le 19 septembre 2022, la société Ingerop conseil et ingénierie, représentée par Me Jeambon, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés Systra, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole, Brochet Lajus Pueyo et Signes, subsidiairement, à ce que le montant de sa condamnation soit limité à 22 156 euros HT, et à ce qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de Bordeaux Métropole au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2020, Keolis Bordeaux Métropole, représentée par Me Gaudemet et Me Fumery, conclut à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il l’a condamnée à verser à Bordeaux Métropole une somme de 43 312,32 euros et qu’il met à sa charge les dépens de l’instance à hauteur de 19 481,12 euros, subsidiairement à ce que sa condamnation soit limitée à la somme de 14 437,40 euros au titre des désordres et à 3 116,97 euros au titre des dépens et enfin, à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Bordeaux Métropole au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Par un mémoire, enregistré le 15 mars 2021, la société Signes, représentée par Me Chambord, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Systra, Artelia, Ingerop, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole, et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de toute partie succombante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

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Par un mémoire, enregistré le 26 mars 2021, Mme de P==, représentée par Me Rooryck, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Systra, Artelia, Ingerop, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest et Signes et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Bordeaux Métropole au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

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Par un mémoire, enregistré le 20 avril 2021, la société Fayat, représentée par Me Salesse, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés Systra, Thales, Ingerop, Verdi bâtiment sud-ouest, Somoclest, Keolis Bordeaux métropole, Brochet Lajus Pueyo et Signes et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de toute partie succombante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

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Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2022, la société Verdi bâtiment sud-ouest, représentée par Me Fillatre, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées à son encontre, à être garantie de toute condamnation par Mme de P==, les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Ingerop conseil et ingénierie, Artelia, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole, subsidiairement que sa responsabilité soit limitée au pourcentage retenu par l’expert entre 3,40 % et 4,56 % et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Bordeaux métropole au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Considérant ce qui suit :

1. Bordeaux Métropole, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, est maître d’ouvrage de l’opération de construction de trois lignes du réseau de tramway de l’agglomération bordelaise dont la mise en service a été organisée en deux phases successives, la seconde portant sur l’extension des lignes créées par la première. La seconde phase a notamment porté sur l’extension dite « Claveau » correspondant au linéaire des quais de la Garonne. Bordeaux Métropole a confié la maîtrise d’œuvre au titre des « aménagements urbains » de cette seconde phase à un groupement composé des sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, et Mme de P==, par acte d’engagement du 9 novembre 1998, pour un montant de 26 046 993,65 euros. La maîtrise d’œuvre générale a été attribuée à un groupement « ingénierie » dénommé Tisya, composé des sociétés Systra, Thales Ingineering et consulting devenue Artelia, Ingerop et ECCTA Ingénierie, devenue Verdi bâtiment sud-ouest, par un acte d’engagement du 12 août 2002, pour un montant de 36 192 414 euros. Le groupement Tisya a confié, par un contrat de sous-traitance d’octobre 2002, l’exécution des prestations d’aménagement urbain à la société Brochet Lajus Pueyo et celle-ci a sous-traité à la société Signes, par contrat du 3 mai 2003, une partie des missions globales d’aménagement urbain. Le marché intitulé « station 201 » pour la réalisation des travaux de génie civil, de massifs, de voiles, dallages des quais et de revêtement des sols, a été confié, par acte d’engagement du 30 juin 2005, à un groupement composé des sociétés Fayat et BTPS Atlantique, pour un montant de 4 418 552,33 euros. La société Fayat a sous-traité la prestation « revêtement des sols » à la société Somoclest bâtiment, par contrat du 30 juin 2005.

2. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves les 21 mai et 3 septembre 2007 puis les réserves ont été levées. Enfin, l’exploitation du réseau a été confiée à la société Veolia, jusqu’au 30 avril 2009, puis à la société Keolis Bordeaux du 1er mai 2009 au 31 décembre 2014. A compter du 1er janvier 2015, la société Keolis Bordeaux métropole a succédé à la société Keolis Bordeaux. Ayant constaté, au cours de l’année 2013, la dégradation du revêtement des podiums et des rampes des quais des stations « CAPC », « Les Hangars », « Chartons », « Cours du Médoc », « Bassins à flots » renommée « Cité du Vin », sur l’extension de la ligne B du tramway, dite « extension Claveau », Bordeaux Métropole a demandé, en référé, une expertise, qui a été ordonnée par le président du tribunal administratif de Bordeaux le 16 février 2017. L’expert a déposé son rapport le 25 avril 2018. Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum Mme de P==, les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Artelia, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, Keolis Bordeaux et Keolis Bordeaux métropole à lui verser la somme de 825 195,36 euros HT en réparation des désordres affectant ces stations.

3. Par un jugement du 9 mars 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la société Keolis Bordeaux métropole à verser à Bordeaux Métropole la somme de 43 312,32 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2018 et capitalisation de ces intérêts, mis les frais d’expertise d’un montant total de 77 924,47 euros, à la charge définitive de Keolis Bordeaux métropole, à hauteur de 19 481,12 euros, et de Bordeaux Métropole, à hauteur de 58 443,35 euros, et rejeté le surplus des conclusions des parties.

4. Bordeaux Métropole relève appel de ce jugement dont elle demande l’annulation en tant qu’il a limité le montant de son préjudice à la somme de 43 312,32 euros et a mis à sa charge une partie des frais d’expertise. Keolis Bordeaux métropole, par un appel incident, demande l’annulation de ce jugement en tant qu’il l’a condamnée à verser la somme de 43 312,32 euros à Bordeaux Métropole et a mis sa charge une partie des frais d’expertise, subsidiairement à ce que le montant de sa condamnation soit minoré. Les sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Artelia, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest et Mme de P== concluent au rejet de la requête d’appel, au rejet de toutes les demandes de condamnation à leur encontre et, subsidiairement, à être garanties de toute condamnation par les autres sociétés parties à l’instance.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

5. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d’ouvrage ou l’existence d’un cas de force majeure.

6. La responsabilité décennale peut être recherchée pour des éléments d’équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination ou si les désordres constatés sont susceptibles de menacer la sécurité des personnes et notamment présentent un danger pour les usagers, qui est de nature à s’accentuer dans le temps à défaut de toute reprise.

7. Pour écarter l’application de la garantie décennale des constructeurs, le tribunal a d’abord rappelé que les travaux ont été réceptionnés les 21 mai et 3 septembre 2007, avec réserves et que ces réserves ont été levées en sorte que Bordeaux Métropole, peut invoquer la responsabilité des constructeurs pour les dommages apparus dans le délai d’épreuve de dix ans sur le fondement de la garantie décennale. Il a ensuite indiqué que, s’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que les dalles des podiums et des rampes des quais des cinq stations en cause présentent des éclats, des fissures, un aspect concave, se décollent et se désaffleurent, que les joints des dalles sont en mauvais état et que les lisses se déchaussent, l’étendue et la dangerosité de ces désordres sont peu importants dès lors qu’ils n’affectent le revêtement qu’en surface, que les quais concernés n’ont jamais fait l’objet de restrictions d’utilisation et qu’aucun accident causé par l’état du dallage n’a été rapporté.

8. Premièrement, il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que, si l’expert a fait procéder à des opérations techniques de mise en sécurité des éléments présentant des risques pour les usagers, qu’il avait pu constater le 22 mars 2017, les opérations en cause, qui ont consisté à faire retirer les dalles concernées pour y mettre un enrobé à froid, se sont déroulés durant la seule matinée du 5 mai 2017 au droit des cinq stations concernées et n’ont affecté que quatre dalles, correspondant à 2 % de la totalité des dalles posées dans la zone de travaux. En outre, si les dalles concernées présentent des éclats, des fissures, un aspect concave, qu’elles se décollent et se désaffleurent, que les joints des dalles sont en mauvais état et que les lisses se déchaussent, il résulte du rapport d’expertise que l’étendue et la dangerosité de ces désordres sont limités, aucune interruption du trafic n’ayant été décidée par l’exploitant. Deuxièmement, il résulte de l’instruction que, alors que la réception des travaux est intervenue en 2007, Bordeaux Métropole ne démontre pas qu’en 13 ans il y aurait eu une aggravation des désordres, compte tenu d’une part du faible pourcentage du dallage affecté par les décollements de dalles constatés par l’expert, ni que les décollements et désaffleurements de dalles se seraient étendus depuis les opérations d’expertise. En outre, aucun délai prévisible au terme duquel l’ouvrage serait impropre à sa destination n’a pu être établi par l’expert. Troisièmement, si Bordeaux Métropole soutient que les désordres sont de nature à affecter la sécurité des usagers de la voie, le maître d’ouvrage ne produit pas plus en appel qu’en première instance de documents, notamment photographiques, attestant de l’existence de risques particuliers ou retraçant des incidents mettant en cause la sécurité des usagers de la voie publique. De même, Bordeaux Métropole n’apporte aucun élément démontrant que la circulation du tramway aurait été interrompue en raison des risques qu’auraient présentés les zones affectées par les décollements de dalles.

9. Dans ces conditions, les désordres précédemment décrits ne peuvent être regardés comme de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination. Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ces désordres ne pouvaient, compte tenu de leur nature et de leurs caractéristiques, engager la responsabilité décennale des constructeurs. Il s’ensuit que Bordeaux Métropole n’est pas fondée à demander, sur ce fondement, la condamnation solidaire des sociétés Brochet Lajus Pueyo, Signes, Systra, Artelia, Ingerop conseil et ingénierie, Verdi bâtiment sud-ouest, Fayat, Somoclest, et de Mme de P==.

Sur la responsabilité contractuelle des constructeurs :

10. La réception est l’acte unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. En l’absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu’au titre des travaux ou des parties de l’ouvrage ayant fait l’objet de réserves.

11. Dès lors, comme il a été dit précédemment, que les travaux ont été réceptionnés les 21 mai et 3 septembre 2007 et que les réserves ont été levées, la réception a mis fin aux rapports contractuels entre Bordeaux Métropole et les constructeurs et fait ainsi obstacle à ce que Bordeaux Métropole recherche leur responsabilité contractuelle pour des fautes commises dans la conception, l’exécution des travaux et l’entretien des quais des stations.

12. Toutefois, la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors que ces derniers se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.

13. En l’espèce, les désordres en cause, qui se manifestent par la déformation et le décollement des dalles, s’expliquent principalement, selon le rapport d’expertise, par le choix de dalles Acrysol de grand format qui a conduit à leur descellement, dans la mesure où elles font l’objet d’une importante dilatation thermique, ainsi qu’à un défaut de surveillance de leur mise en œuvre. L’expert a relevé également des causes secondaires aux désordres, constituées par un défaut d’exécution en raison de la déficience du ciment de revêtement de la chape, de la pose du complexe « dalle, barbotine et chape » d’une épaisseur insuffisante et de la réalisation défaillante de couples de lisses et dalles verticales, ainsi que par un entretien insuffisant des joints entre les dalles.

14. D’une part, la déficience du ciment de revêtement de la chape, la pose du complexe « dalle, barbotine et chape » d’une épaisseur insuffisante et la réalisation défaillante de couples de lisses et dalles verticales sont seulement susceptibles de caractériser des erreurs de conception mais ne constituent pas des fautes de nature à engager la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil. De plus, il ne résulte de l’instruction ni que les maîtres d’œuvre auraient eu connaissance au cours du chantier des vices responsables des désordres en litige, ni que ces vices ou ces désordres étaient apparents au moment de la réception de l’ouvrage.

15. D’autre part, si le rapport d’expertise relève que les dalles Acrysol qui ont été installées étaient des dispositifs dits innovants, relevant d’une simple appréciation technique d’expérimentation (ATEX), qui faisait mention d’un possible décollement des dalles de grande taille installées en extérieur, il résulte de l’instruction que Bordeaux Métropole a eu connaissance de cette ATEX et donc de l’existence d’un tel risque avant la réception des travaux. La circonstance que la maîtrise d’œuvre avait connaissance du risque que comportait l’utilisation des dalles Acrysol pour la réalisation des quais ne constitue pas un vice de conception ou d’exécution qui aurait justifié que la maîtrise d’œuvre alerte Bordeaux Métropole au moment de la réception de l’ouvrage et que des réserves soient émises dès lors que ce risque n’était qu’éventuel. Ainsi, aucun manquement des maîtres d’œuvre à leur devoir de conseil lors de la réception des travaux n’est établi.

16. Enfin, la responsabilité contractuelle des constructeurs sur le fondement de la théorie des « dommages intermédiaires » invoquées par Bordeaux Métropole ne s’applique pas devant le juge administratif.

Sur la responsabilité contractuelle de la société Keolis Bordeaux métropole :

17. Bordeaux Métropole a conclu une convention de délégation de service public pour les transports urbains avec la société Keolis SA. Sa filiale, Keolis Bordeaux métropole, qui a succédé depuis le 1er janvier 2015 à Keolis Bordeaux, est chargée de l’exploitation du réseau de tramway, de l’entretien et de la maintenance de l’ensemble des biens nécessaires à cette exploitation. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise, que cette société ne pouvait ignorer la nécessité de respecter un cycle de maintenance des joints soumis aux intempéries, conformément aux règles de l’art, et qu’elle n’a pas entretenu les joints entre les dalles et entre les différents éléments de revêtement des podiums. Enfin, si les désordres sont apparus en 2013, soit avant la signature de la délégation de la société Keolis Bordeaux métropole, ils ont perduré et se sont étendus de telle sorte que cette dernière ne peut soutenir que l’article 12 de la délégation de service public selon lequel « le Délégataire n’assure pas le dénouement des litiges, sinistres, recours et contentieux nés avant la prise d’effet de la Délégation » serait opposable. Ce défaut d’entretien n’a pas concouru aux désordres dans leur entier mais a contribué à leur aggravation. Le tribunal a fixé la part incombant à Keolis Bordeaux métropole à 12 % des coûts de remise en état du site. Compte tenu du rapport d’expertise qui retient une part « très limitée » lui incombant, il sera fait une juste appréciation de la part du préjudice correspondant à cette aggravation mise à la charge de Keolis Bordeaux métropole, en la limitant à 10 % des coûts de remise en état des stations.

Sur les préjudices :

18. Le montant du préjudice dont le maître d’ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l’immeuble qu’ils ont réalisé correspond aux frais qu’il doit engager pour les travaux de réfection et aux préjudices annexes qui sont en lien direct avec les désordres. Le tribunal administratif a retenu les sommes de 309 929 euros pour la réalisation des travaux réparatoires selon le chiffrage établi par l’expert, 21 703 euros pour les coûts de maîtrise d’œuvre, des coordonnateurs sécurité et du contrôleur technique, 25 256 euros pour la mise en place d’un dispositif d’information des voyageurs lors de la réalisation des travaux, et 4 048 euros pour les coûts supplémentaires d’exploitation générés par la modification du terminus de la ligne B, soit un montant total de 360 936 euros HT.

19. Si Bordeaux Métropole persiste à demander en appel la réfection complète du dallage correspondant à l’hypothèse 2 du rapport d’expertise, elle ne justifie pas que cette solution, plus coûteuse, serait nécessaire pour remédier aux désordres alors notamment que l’aggravation de ces désordres depuis les opérations d’expertise n’est pas établie. De même, elle ne justifie pas davantage en appel que la pose de lisse avec béquille, qu’elle demande et qui est plus onéreuse, serait nécessaire alors qu’elle a elle-même supprimé cette solution dans les devis produits à l’expert compte tenu des dangers qu’elle présente pour la sécurité des personnes. Enfin, si Bordeaux Métropole demande également à être indemnisée des frais d’un personnel pour informer les voyageurs à la station « Cité du vin », elle ne justifie pas plus en appel qu’en première instance de l’utilité de cette information en plus des panneaux d’affichage et des messages électroniques. Il s’ensuit que la société Kéolis Bordeaux métropole est condamnée à verser à Bordeaux métropole une somme de 36 093,60 euros (331 632 + 25 256 + 4 048 x 0,10).

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société Keolis Bordeaux métropole est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Bordeaux a fixé le montant de l’indemnité à verser à Bordeaux Métropole à une somme supérieure 36 093,60 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

21. Bordeaux Métropole a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 36 093,60 euros à compter de la date d’introduction de la requête devant le tribunal administratif de Bordeaux, le 23 juillet 2018. La capitalisation des intérêts a été demandée à cette même date. Il y a lieu d’y faire droit à compter du 23 juillet 2019, date à laquelle il était dû pour la première fois une année d’intérêts.

Sur les dépens :

22. Les frais et honoraires de l’expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 77 924,47 euros par ordonnance du président du tribunal du 25 avril 2018. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre ces dépens à la charge définitive de Keolis Bordeaux métropole à hauteur de la somme de 7 792,44 euros et de Bordeaux Métropole à hauteur de la somme de 70 132,03 euros et de réformer le jugement en ce sens.

Sur les frais liés à l’instance :

23. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux demandes des parties au titre de l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La société Keolis Bordeaux métropole est condamnée à verser à Bordeaux Métropole la somme de 36 093,60 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2018. Les intérêts seront capitalisés au 23 juillet 2019 afin de produire eux-mêmes intérêts et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Les frais de l’expertise, taxés et liquidés à la somme de 77 924,47 euros, sont mis à la charge définitive de Keolis Bordeaux métropole à hauteur de 7 792,44 euros et de Bordeaux Métropole à hauteur de 70 132,03 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu’il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

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