19BX03558

Décision du 15 décembre 2021

Mme D*** a demandé au tribunal administratif de B*** d’annuler le palmarès des vins de Pécharmant rouge au 126ème concours général agricole 2017, porté à sa connaissance le 26 février 2017 et la décision implicite intervenue le 24 juin 2017 par laquelle le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt a rejeté son recours gracieux présenté le 21 avril 2017 contre ces résultats.

Par un jugement n° *** du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de B*** a rejeté sa demande.



Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2019, et des mémoires enregistrés les 12 avril 2021 et 8 novembre 2021, Mme D*** représentée par Me de L***, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de B*** ;

2°) d’annuler le palmarès des vins de Pécharmant rouge au 126ème concours général agricole 2017 porté à sa connaissance le 26 février 2017 et la décision implicite intervenue le 24 juin 2017 par laquelle le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt a rejeté son recours gracieux en date du 21 avril 2017 contre ces résultats ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Considérant ce qui suit :

1. Mme D*** exploite un domaine viticole dans la région de Bergerac en Dordogne. Elle a inscrit au concours général agricole 2017 dans la catégorie des vins de Pécharmant rouge, quatre vins qu’elle produit sous la marque « Château de C*** », deux échantillons du millésime 2014 et deux échantillons du millésime 2015. A l’issue de la finale qui s’est déroulée au salon de l’agriculture le 24 février 2017, elle a obtenu une médaille de bronze pour une de ses deux cuvées de 2015. Mme D*** relève appel du jugement du tribunal administratif de B*** du 5 juillet 2019 qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation du palmarès des vins de Pécharmant de 2017 et de la décision implicite intervenue le 24 juin 2017 par laquelle le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt a rejeté son recours gracieux en date du 21 avril 2017 contre ces résultats.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. En premier lieu, la requérante n’est pas fondée à soutenir que le palmarès des vins de Pécharmant rouge au 126ème concours général agricole 2017 a été proclamé en méconnaissance de l’article 10 du règlement local de présélection de Dordogne dès lors que les organisateurs du concours général agricole n’ont pas fait application de ces dispositions.

3. En second lieu, aux termes de l’article 9 de l’arrêté du 13 février 2013 fixant les conditions d’inscription des concours vinicoles français sur la liste des concours vinicoles français dont les médailles peuvent figurer dans l’étiquetage des vins produits en France : « L’organisateur du concours prend les dispositions nécessaires pour garantir l’obligation d’impartialité qui s’impose à tout membre d’un jury. / L’organisateur recueille une déclaration sur l’honneur des membres du jury mentionnant leurs liens directs ou indirects avec les entreprises, établissements, organisations professionnelles ou associations dont les activités, produits ou intérêts peuvent concerner les vins présentés au concours. / L’organisateur prend les mesures appropriées afin d’éviter qu’un compétiteur, membre d’un jury, ne juge ses vins ». Aux termes de l’article 15 du règlement du 126ème concours général agricole : « (…) Tout juré s’engage sous peine d’exclusion à : déclarer sur l’honneur ses liens, directs ou indirects, avec les entreprises, établissements, organisations professionnelles ou associations dont les activités, produits ou intérêts peuvent concerner les vins présentés au concours. Un compétiteur membre du jury ne pourra juger ses propres produits et vins ».

4. La seule circonstance qu'un membre du jury d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations de ce concours. En revanche, le respect du principe d'impartialité exige que, lorsqu'un membre du jury d'un concours a, avec l'un des candidats des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat mais encore concernant l'ensemble des candidats au concours. En outre, un membre du jury qui a des raisons de penser que son impartialité pourrait être mise en doute ou qui estime, en conscience, ne pas pouvoir participer aux délibérations avec l'impartialité requise, doit également s'abstenir de prendre part à toutes les interrogations et délibérations de ce jury en vertu des principes d'unicité du jury et d'égalité des candidats devant celui-ci.

5. Il ressort des pièces du dossier et notamment d’une attestation en date du 9 février 2018 du directeur général de la société N*** ayant développé le logiciel utilisé lors du concours général 2017 qu’un vin ne peut être affecté à une table de dégustation sur laquelle est placé un juré ayant déclaré un lien avec ce vin dans sa déclaration sur l'honneur. Ce principe permet d’assurer qu’un membre du jury ne puisse, lors d’une dégustation d’un échantillon dite « à l’aveugle », reconnaître les propriétés organoleptiques d’un vin en fonction de ses caractéristiques visuelles, olfactives et gustatives.

6. La requérante met en cause l’impartialité de Mme B***, membre du jury du concours, en ce qu’elle a indiqué, dans sa déclaration sur l’honneur en date du 3 février 2017, n’avoir aucun « lien, direct ou indirect, avec les entreprises, établissements, organisations professionnelles ou associations dont les activités, produits ou intérêts peuvent concerner les produits présentés au concours », alors qu’elle entretient des liens avec plusieurs châteaux « Pécharmant Rouge » médaillés lors de ce concours. Sa carence déclarative dont résulte la possibilité qu’elle ait, en l’absence de contrôle, goûté certains vins primés, justifierait, selon la requérante, l’annulation totale du palmarès des vins de Pécharmant rouge de 2017 ainsi affecté d’un vice tenant à l’absence d’impartialité d’un membre du jury.

7. D’une part, il ressort des pièces du dossier et notamment d’extraits du site Internet géré par M. B***, viticulteur en Bergerac et œnologue, et d’un procès-verbal d’huissier produit pour la première fois en appel par la requérante, que l’époux de Mme B*** commercialise un vin de Pécharmant 2016 « cuvée L*** » provenant de raisins d’un domaine éponyme dont Monsieur D*** est associé-dirigeant et que ce dernier est un œnologue du château du R*** médaillé d’or et d’argent en Pécharmant Rouge cuvée 2014 lors du concours général. Toutefois, le vin Pécharmant « Domaine des C*** » pour lequel M. B*** et M. D*** étaient en relation d’affaires n’a pas été présenté au concours. Les liens professionnels entretenus entre l’époux de Mme B*** et M. D*** n’étaient donc pas de nature à influer sur l’appréciation portée par Mme B*** lors de la dégustation des vins et ne justifiaient donc pas, de sa part, de déclaration de liens d’intérêts en ce sens.

8. D’autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B*** était président de l’Interprofession des vins de Bergerac et de Duras qui a participé à l’organisation du concours. Toutefois, cette circonstance n’est pas de nature à révéler sa partialité lors de ce concours puisque cette société, qui s’est bornée à participer à l’organisation du concours, n’a présenté aucun vin à la dégustation.

9. En revanche, il ressort aussi des pièces du dossier et notamment d’éléments déclaratifs de récoltes déposées par la SCA A***, produites pour la première fois en appel par les intimés eux-mêmes et dont se prévaut la requérante, que l’époux de Mme B*** avait adhéré à la coopérative A*** dont deux vins (« Domaine du V*** » en Pécharmant rouge 2015 et « E*** » en Pécharmant rouge 2015) ont reçu respectivement une médaille d’or et une médaille d’argent lors du concours général.

10. Aux termes des dispositions de l’article L. 521-1 du code rural et de la pêche maritime « Les sociétés coopératives agricoles ont pour objet l'utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité. Les sociétés coopératives agricoles et leurs unions forment une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales. Elles ont la personnalité morale et la pleine capacité. ». Aux termes des dispositions de l’article L. 521-3 du même code, « I.- Ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative ou d’union que les sociétés dont les statuts prévoient d) La répartition des excédents annuels disponibles entre les associés coopérateurs proportionnellement aux opérations qu'ils ont réalisées avec leur coopérative lors de l'exercice. ». L’article L. 525-1 du même code prévoit encore que les sociétés coopératives agricoles sont créées conformément à des modèles de statuts approuvés par arrêté du ministre chargé de l'agriculture et sont agréées par le Haut Conseil de la coopération agricole, après vérification de cette conformité et de la cohérence entre le projet présenté et le contexte économique dans lequel il s'insère. Ces statuts types sont régis par l’arrêté modifié du 23 avril 2008 portant homologation des statuts types des sociétés coopératives agricoles.

11. Il résulte de ces dispositions que les statuts d’une société coopérative prévoient nécessairement, conformément à un statut type, la répartition des excédents annuels disponibles entre les associés coopérateurs proportionnellement aux opérations qu'ils ont réalisées avec leur coopérative.

12. Au regard de ces règles, alors même que l’adhésion de M. B*** viticulteur en AOP Bergerac ne concerne que des vins d’appellation Bergerac blanc et rouge, sans lien avec les Pécharmant dégustés lors du concours, celui-ci avait un intérêt direct à ce que les vins Pécharmant précités, présentés au concours par la coopérative à laquelle il a adhéré, remportent des médailles lors du concours général afin d’accroitre les excédents à partager entre coopérants. Mme B*** avait donc corrélativement un intérêt indirect à cette adhésion. En effet, et contrairement à ce que soutiennent les intimés, la circonstance que Mme B*** dispose d’une autonomie juridique à l’égard de son mari ne fait pas obstacle à la prise en compte des liens affectifs qui les unissent, susceptibles de traduire un manque de partialité de sa part dans l’exercice d’une fonction. Par suite, la déclaration sur l’honneur de Mme B*** selon laquelle elle n’entretient aucun lien direct ou indirect, avec une entreprise ou établissement dont les activités, produits ou intérêts peuvent concerner les produits présentés au concours, ne présente pas un caractère sincère. Compte tenu de la règle d’unicité du jury rappelée au point 4 du présent arrêt, le défaut d’impartialité de Mme B***, membre du jury du 126ème concours général agricole 2017, dans la catégorie des vins de Pécharmant rouge justifie, dans cette mesure, l’annulation du palmarès.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D*** est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de B*** a rejeté sa demande tendant à l’annulation du palmarès des vins de Pécharmant rouge au 126ème concours général agricole 2017 porté à sa connaissance le 26 février 2017 et de la décision implicite intervenue le 24 juin 2017 par laquelle le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt a rejeté son recours gracieux en date du 21 avril 2017 contre ces résultats.

Sur les conclusions reconventionnelles :

14. La SCEA Château de T***, l’EARL B***, l’EARL Château du R***, la SCEA H*** et la SCA A*** demandent que Mme D*** soit condamnée à leur payer une somme de 10 000 euros chacun, à titre de dommages et intérêts. Il résulte de ce qui précède que leurs conclusions ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que Mme D*** qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance verse une somme quelconque à la SCEA Château de T***, l’EARL B***, l’EARL Château du R***, la SCEA H*** et la SCA A***, au titre des frais qu’elles ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à Mme D*** d’une somme de 1 500 euros sur le même fondement.



DECIDE :

Article 1er : Le palmarès des vins de Pécharmant rouge au 126ème concours général agricole 2017 et la décision implicite de rejet du 24 juin 2017 sont annulés.

Article 2 : Le jugement n° *** du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de B*** est annulé.

Article 3 : Les conclusions reconventionnelles présentées par la SCEA Château de T***, l’EARL B***, l’EARL Château du R***, la SCEA H*** et la SCA A*** sont rejetées.

Article 4 : L’Etat versera au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 1 500 euros à Mme D***.

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