21BX03571

Décision du 19 mai 2022.

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile d’exploitation agricole (SCEA) de La Conche, la SCEA Huîtres Condom, l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) du Grand large, l’EARL Cabane 24, l’EARL EMRF, la société à responsabilité limitée (SARL) Aloir et Fille, M. TC==, l’EARL Huîtres la Canfouine, la SARL M&G, M. AB==, la SARL Huîtres Fontenay, M. NA==, l’EARL Huîtres Conzales Garcia J, l’EARL Le petit Chenal, l’EARL Chez Guillaume, M. PR==, M. JLN==, l’EARL Cap Huîtres, M. LH==, l’EARL Huîtres C== et fils et la SCEA Bellocq ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler l’arrêté du 3 septembre 2020 de la préfète de la Gironde portant application de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime en matière de l'activité de dégustation dans les ateliers agréés d'expédition des produits de l'ostréiculture.

Par un jugement n° 2004920 du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er septembre 2021 et le 4 janvier 2022, la SCEA de La Conche, la SCEA Huîtres Condom, l’EARL du Grand large, l’EARL Cabane 24, l’EARL EMRF, la SARL Aloir et Fille, M. C==, l’EARL Huîtres la Canfouine, la SARL M&G, M. B==, la SARL Huîtres Fontenay, M. A==, l’EARL Huîtres Conzales Garcia J, l’EARL Le petit Chenal, l’EARL Chez Guillaume, M. R==, M. N==, l’EARL Cap Huîtres, M. H==, l’EARL Huîtres C== et fils, et la SCEA Bellocq, représentés par la société Fidal, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 juin 2021 ;

2°) d’annuler l’arrêté de la préfète de la Gironde du 3 septembre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 6 000 euros hors taxe en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 3 septembre 2020, abrogeant et remplaçant, à compter du 1er janvier 2021, l’arrêté du 11 avril 2021, la préfète de la Gironde a défini, au sein des établissements agréés pour l’expédition des coquillages vivants, dont le gérant doit être titulaire d’une autorisation d’exploitation de cultures marines (AECM) en mer et respecter le schéma des structures, les règles d’organisation de la dégustation de coquillages vivants, sur le domaine public maritime ou sur les parcelles d’une autre personne publique. La SCEA de La Conche, la SCEA Huîtres Condom, l’EARL du Grand large, l’EARL Cabane 24, l’EARL EMRF, la SARL Aloir et Fille, M. C==, l’EARL Huîtres la Canfouine, la SARL M&G, M. B==, la SARL Huîtres Fontenay, M. A==, l’EARL Huîtres Conzales Garcia J, l’EARL Le petit Chenal, l’EARL Chez Guillaume, M. R==, M. N==, l’EARL Cap Huîtres, M. H==, l’EARL Huîtres C== et fils et la SCEA Bellocq relèvent appel du jugement du 29 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l’article 4 de l’arrêté contesté : « Une demande d’autorisation spécifique d’activité de dégustation doit être faite auprès de la direction départementale des territoires et de la mer (…) ».

3. Aux termes de l’article R.923-9 du code rural et de la pêche maritime : « Doivent faire l'objet d'une concession, sur le domaine public maritime ainsi que dans la partie des fleuves, rivières, étangs et canaux où les eaux sont salées : 1° Les activités d'exploitation du cycle biologique d'espèces marines, végétales ou animales, comprenant, notamment, le captage, l'élevage, l'affinage, la purification, l'entreposage, le conditionnement, l'expédition ou la première mise en marché des produits ; 2° Les activités exercées par un aquaculteur marin, qui sont dans le prolongement des activités mentionnées au 1°, dès lors qu'elles sont réalisées sur des parcelles du domaine public de l'Etat ou d'une autre personne publique ; (…) ».Par ailleurs, l’article R. 923-10 du même code prévoit que les concessions mentionnées à l’article R. 923-9 sont délivrées par le préfet, sur proposition du directeur départemental des territoires et de la mer.

4. En l’espèce, les activités de dégustation dont il s’agit, qui sont distinctes des activités d’exploitation du cycle biologique d’espèces marines au sens du 1° de l’article R. 923-9 du code rural et de la pêche maritime, étant exercées sur des parcelles appartenant au domaine public, la préfète a pu, par l’article 4 de l’arrêté litigieux, et en application des dispositions citées ci-dessus du 2° de l’article R. 923-9 du code rural et de la pêche maritime, soumettre ces activités de dégustation à une autorisation spécifique, distincte de l’AECM, alors même que ces activités de dégustation sont considérées comme le prolongement des activités conchylicoles. Compte tenu de leur nature, la préfète a pu, par ce même article, confier l’instruction des demandes d’autorisation de ces activités de dégustation aux services de la direction départementale des territoires et de la mer, chargée, notamment, de la mise en œuvre de la politique de la mer et du littoral en ce qui concerne les cultures marines. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette autorisation de l’activité de dégustation n’a pas le même objet que l’agrément délivré par la direction départementale de la protection des populations, qui est, quant à elle, chargée, notamment, de la sécurité des produits alimentaires. Par suite, le moyen tiré de l’illégalité, pour ce motif, de l’article 4 de l’arrêté contesté doit être écarté.

5. Aux termes de l’article 5 de l’arrêté attaqué : « Sont autorisées à la dégustation les huîtres, présentées crues, produites sur l’exploitation ostréicole agréée, et ayant au minimum été mises sur un parc d’élevage girondin de l’exploitation ostréicole depuis au moins 6 semaines (…) ».

6. La prescription posée par cet article, tenant à ce que les huîtres offertes à la dégustation aient été mises sur un parc d’élevage girondin de l’exploitation depuis au moins six semaines, qui ne fait pas obstacle à la constitution de stocks, n’est pas, en tout état de cause, contraire à la direction donnée par le règlement communautaire 1379/2013 relatif à la pêche et à l’aquaculture, invoqué par les requérants, qui se borne à prévoir la possibilité d’établir un mécanisme de stockage des produits de la mer destinés à la consommation humaine au regard du caractère imprévisible des activités de pêche. Par ailleurs cette prescription ne peut être regardée, compte tenu des objectifs poursuivis, qui sont, notamment, de « participer à l’identité du bassin d’Arcachon », de « participer à la pérennité de l’activité ostréicole sur ce bassin », de « permettre son développement » et « d’éviter une concurrence déloyale entre les professionnels », et au regard du régime dérogatoire d’une telle activité de dégustation sur le domaine public maritime, comme disproportionnée alors même que le producteur disposerait de points de stockage en dehors du domaine public girondin. Par suite, le moyen ainsi soulevé doit être écarté.

7. Une telle prescription ne peut davantage être regardée, contrairement à ce que soutiennent les requérants, comme instaurant une appellation d’origine contrôlée ou protégée ni une indication géographique protégée. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté serait intervenu en méconnaissance des règlements communautaires et des procédures réglementaires applicables à la certification de l’origine des produits doit être écarté.

8. Enfin, les circonstances qu’une réflexion sur la réglementation de la dégustation était en cours au niveau national et que l’obligation ainsi prescrite priverait les concessionnaires de la possibilité, en cas d’interdiction de vente des huîtres stockées dans les eaux de Gironde, de vendre les huîtres issues de leur production mais stockées en dehors des eaux visées par l’interdiction sont sans incidence sur la légalité de cet article 5.

9. Aux termes de l’article 17 de l’arrêté contesté: « Les modalités d’imposition fiscale du chiffre d’affaires issu de la vente des produits annexes sont prévues par l’article 75 du code général des impôts. Il précise les limites à respecter afin que les produits des activités accessoires relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et de celle des bénéfices non commerciaux réalisés par l’exploitant agricole soumis à un régime réel d’imposition puissent être pris en compte pour la détermination du bénéfice agricole. / La comptabilité de la dégustation doit permettre la vérification immédiate de ces éléments ».

10. Par cet article, la préfète s’est bornée à rappeler, par référence à l’article 75 du code général des impôts, les conditions dans lesquelles les produits des activités accessoires, en l’espèce des activités de dégustation, peuvent être pris en compte pour la détermination du bénéfice agricole. Si les requérants font valoir que cet article instaure une distinction entre les éleveurs soumis au régime des bénéfices agricoles et ceux imposés dans la catégorie de l’impôt sur les sociétés, ils n’assortissent pas leur moyen de précisions permettant à la cour d’en apprécier le bien-fondé.

11. Par ailleurs, en indiquant que la « comptabilité de la dégustation doit permettre la vérification immédiate » des éléments relatifs aux modalités d’imposition fiscale du chiffre d’affaires issu de la vente des produits annexes, la préfète a entendu faciliter le contrôle du respect, par l’exploitant, des exigences posées à cet article relatives à la part minimum que doit représenter le chiffre d’affaires issu de l’activité de production au regard de l’ensemble du chiffre d’affaires de l’entreprise mais ne peut être regardée comme ayant octroyé aux agents de la direction départementale des territoires et de la mer un pouvoir en matière de contrôle fiscal, ces agents ne disposant au demeurant d’aucune compétence en matière fiscale.

12. Aux termes de l’article 18 de l’arrêté litigieux : « Pour que l’activité de dégustation soit possible sur le domaine public maritime et pour permettre de s’assurer que l’activité principale de l’entreprise est l’ostréiculture, le chiffre d’affaires HT issu de l’activité de production devra représenter au minimum 51% de l’ensemble du chiffre d’affaires HT de l’entreprise. L’évaluation de ce point se fait sur la base de la moyenne des chiffres d’affaires des trois derniers exercices comptables clos. (...)».

13. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, en prévoyant, par cet article 18, que l’évaluation de la part du chiffre d’affaires issu de l’activité de production au titre d’une année donnée doive se faire sur la base de la moyenne des chiffres d’affaires des trois derniers exercices comptables clos, la préfète s’est bornée à fixer, par référence à l’article 75 du code général des impôts, les modalités de calcul du chiffre d’affaires relatif à l’activité de production pour cette année précise mais n’a pas entendu réglementer l’évaluation de cette part au titre des exercices précédents. Par suite, alors même que l’ostréiculteur n’avait pas connaissance en 2018, 2019 et 2020 du pourcentage fixé par l’article 18, le moyen tiré du caractère rétroactif de l’arrêté contesté doit être écarté. Il en est de même, en tout état de cause, du moyen tiré de la méconnaissance, pour ce motif, de « l’obligation de loyauté et de confiance légitime ». 14. L’arrêté contesté n’a pas pour objet, contrairement à ce que soutiennent les requérants, de réglementer les activités agricoles des ostréiculteurs mais a pour objet de fixer les conditions dans lesquelles les activités de dégustation peuvent être autorisées sur le domaine public. Au regard de l’exigence qui s’attache à la protection du domaine public, que met en œuvre la nécessité d’obtenir une autorisation, nécessairement temporaire, pour l’occuper ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage appartenant à tous, et compte tenu des objectifs poursuivis de préservation des capacités d’accès à la mer pour les entreprises dont l’activité le nécessite et de pérennisation et de développement de l’activité de production ostréicole du bassin d’Arcachon, en édictant, par l’article 6 de l’arrêté contesté, la liste limitative des produits pouvant accompagner la dégustation d’huîtres, en interdisant, par l’article 9, les activités ne relevant pas du prolongement de l’activité agricole, comme les manifestations de type concerts, et en fixant, par l’article 18, un ratio minimum de recettes agricoles la préfète n’a pas porté une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre non plus qu’à la liberté du commerce et de l’industrie, alors même que les exploitants sont susceptibles « d’élever » d’autres produits sur leur domaine privé et que les animations musicales ne perturberaient pas l’ordre public ni le fonctionnement de l’exploitation. La circonstance que l’arrêté n’a pas limité les vins dont la consommation est autorisée à ceux produits en Gironde n’est pas de nature à entacher d’illégalité l’arrêté contesté.

15. La circonstance que l’arrêté attaqué comporterait des règles différentes de celles applicables à la dégustation dans d’autres bassins ostréicoles n’est pas de nature à caractériser la méconnaissance du principe de l’égalité de traitement entre les professionnels dès lors que les situations des ostréiculteurs concernés sont différentes tant par les spécificités géographique, environnementale ou touristique des différents bassins ostréicoles que par les conditions d’exercice de leur activité.

16. Enfin, aux termes de l’article 20 de l’arrêté attaqué : « Toute infraction au présent arrêté pourra entraîner la suspension ou le retrait de l’AECM et/ou de l’autorisation d’exploiter la dégustation. / Le non-respect du schéma des structures sur l’ensemble des parcs concédés sur le département de la Gironde peut également entraîner la suspension ou le retrait de l’autorisation d’exploiter la dégustation ».

17. Ainsi qu’il a été dit au point 4, les activités qui sont dans le prolongement des activités d’exploitation de cultures marines doivent, lorsqu’elles sont exercées sur des parcelles du domaine public de l’Etat ou d’une autre personne publique, faire l’objet d’une concession sur le domaine public conformément aux dispositions du 2° de l’article R.923-9 du code rural et de la pêche maritime. L’article R. 923-40 de ce code prévoit que le préfet est compétent pour retirer lesdites concessions en cas de non-respect de la réglementation. Dans ces conditions, dès lors que les activités de dégustation réglementées par l’arrêté contesté sont dans le prolongement des activités d’exploitation de cultures marines et sont exercées sur des parcelles du domaine public, la préfète de la Gironde était compétente pour prescrire, par l’article 20 de l’arrêté contesté, la possibilité de suspendre ou de retirer les autorisations en cas d’infraction aux règles fixées par l’arrêté, alors même que le schéma des structures ne comporte pas de disposition sur ce point.

18. Toutefois, si les activités de dégustation sont, ainsi qu’il a été dit précédemment, le prolongement des AECM, ces dernières peuvent cependant être exercées indépendamment de toute activité de dégustation. Par suite, en prévoyant, par l’article 20 de l’arrêté contesté, la possibilité de suspendre ou de retirer l’AECM en cas d’infraction aux règles fixées par ledit arrêté, la préfète a instauré une mesure disproportionnée au regard des buts poursuivis par cet arrêté qui a pour seul objet de réglementer les activités de dégustation sur le domaine public.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA de la Conche et autres sont seulement fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à l’annulation des dispositions de l’article 20 de l’arrêté de la préfète de la Gironde du 3 septembre 2020 prévoyant la possibilité de suspendre ou de retirer l’AECM en cas d’infraction aux règles fixées par ledit arrêté.

20. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions des requérants tendant à l’application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L’article 20 de l’arrêté du 3 septembre 2020 de la préfète de la Gironde est annulé en tant qu’il prévoit la possibilité de suspendre ou de retirer l’autorisation d’exploitation des cultures marines en cas d’infraction au dit arrêté.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu’il a de contraire à l’article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

La discussion continue ailleurs

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